Les Phosphates
Fiche Technique
Par Christelle Theate

   
 

Il était une fois…..les phosphates….

Si cela commence comme tel, la présence de phosphates dans un aquarium ne se termine pas toujours à la manière d’un conte de fées.

Les phosphates se retrouvent dans les cellules de tous les organismes vivants, et par conséquent, dans tous les bacs récifaux que nous possédons. Si, si, même dans le vôtre…

Les phosphates, ou PO4, sont composés de Phosphore (P), un des 14 premiers éléments présents sous forme de trace dans l’eau de mer (il y en a 70) et considérés comme essentiels dans l’eau de nos bacs.

Afin de mieux comprendre la suite, il est nécessaire de passer par un petit cours de chimie…restez calme, ce sera comme pour la piqûre, ça ne fera pas mal !

Les molécules dites « organiques », même les plus compliquées (parfois plusieurs centaines d’atomes), ne sont composées le plus souvent que d’un petit nombre d’éléments différents. Les éléments « constitutifs » des molécules organiques sont principalement : le carbone (C) , l’hydrogène (H), l’oxygène (O) et l’azote (N). Viennent ensuite par ordre de fréquence décroissant les éléments tel que le Chlore (Cl), le Phosphore (P), le Magnésium (Mg), etc…

Il faut s’imaginer la molécule organique dotée d’un « corps » qui serait une chaîne d’atomes de carbone (C) sur laquelle divers autres atomes (oxygène, hydrogène, phosphore, etc…) peuvent venir se fixer tels des « bras ».

Par exemple :

Parlons donc des phosphates organiques

Ils sont associés à des molécules organiques parfois longues et ne sont donc pas libres.

Des molécules complexes telles que l’ADN (acide désoxy-ribonucléique, porteur des gênes), les phospholipides et certaines protéines en contiennent.

Plus de 90% des phosphates présents dans l’aquarium sont des phosphates organiques.

C’est l’écumeur qui va permettre de retirer une grande partie des phosphates organiques, et cela avant qu’ils ne soient transformés en phosphates inorganiques. Mais pas la totalité…

Ces molécules organiques, sous l’action d’enzymes (d’autres molécules dont le rôle est de découper les liaisons entre les atomes ou groupes d’atomes), sont transformées en phosphates inorganiques. C’est l’ortho-phosphate, forme la plus simple du phosphore (PO4, souvent appelée Pi par les biologistes).

L’ortho-phosphate est composé d’un atome de Phosphore central auquel sont liés quatre atomes d’oxygène. On pourrait le voir comme une forme de mise en réserve d’énergie.

Un exemple :

L'ATP ou adénosine-triphosphate est une molécule utilisée chez les êtres vivants pour fournir de l’énergie. Cette énergie est « stockée » dans les liaisons des groupements phosphate. Les molécules d'ATP transmettent leur énergie lorsqu’un groupement phosphate est oxydé (ATP -> ADP + Pi + énergie). Elles deviennent alors de l'ADP (adénosine diphosphate). L’ATP est en fait un donneur d'énergie universel, et c'est la seule source d'énergie directement utilisable par la cellule.

La coupure des liaisons entre les phosphates et le ribose libère énormément d’énergie utilisable dans d’autres réactions ou cycles biochimiques.

Dans l’eau de mer, on le retrouve sous plusieurs formes dépendantes du pH. A un pH de 8.1, il y a 0.5% de H2PO4ˉ Û 79% de HPO42ˉÛ et 20% de PO43ˉ. Si le pH remonte, les pourcentages changent vers plus de PO43ˉ et moins de HPO42ˉ.

L’ortho-phosphate joue un rôle prépondérant au sein de l’aquarium car c’est lui que les algues utilisent pour leur croissance.

Chez les organismes inférieurs, principalement les algues, on trouve surtout des granules de poly phosphates qui peuvent être constitués de 106 résidus de phosphates. En mourrant, ces dernières libèrent d’importantes quantités de phosphates directement assimilables par d’autres algues. Siphonner ces algues permet d’enlever une partie des phosphates.

Il suffit d’un taux dépassant 0.03 ou 0.04 ppm (mg/l) pour que les algues filamenteuses commencent à se développer.

Cependant, la présence de phosphates influence aussi négativement la croissance des coraux ! Et contrairement à ce qu’on peut lire souvent, les phosphates jouent un rôle plus important dans la prolifération des algues que les nitrates. Si effectivement les nitrates ne sont pas recommandables, il apparaît qu’ils affectent plus les couleurs et l’appétit des poissons, le « mal être » des coraux et la présence de cyanobactéries, que la prolifération des algues filamenteuses.

La majorité des tests vendus dans le commerce et utilisés par les aquariophiles ne détectent pas tous les phosphates organiques. Pour cela, il faut que les liaisons entre le composé organique et le phosphate soient brisées afin de libérer le phosphate inorganique et pouvoir le tester.

Comme on le voit, les phosphates s’avèrent difficiles à supprimer totalement. Plutôt que de chercher un produit miracle, tentons de déterminer les origines des phosphates de manière à éviter autant que possible de les accumuler.

Les causes :

En résumé : tout ce qui provient d’un être vivant est composé en partie de phosphates : les cadavres de poissons, le sable ou les squelettes de coraux. Mais aussi tous les déchets produits par les animaux vivants.

Dans l’aquarium :

      - un animal mort qui se décompose
      - les fèces des poissons
      - les bactéries qui meurent
      - la surpopulation en poissons ou en coraux
      - le sable : certains sables contiennent des phosphates qui peuvent être libérés grâce à la chute du pH qui s’opère en zone anaérobie (si l’épaisseur de sable est suffisante)
      - les pierres vivantes : tout comme le sable, les pvs peuvent libérer des phosphates lors d’une chute du pH. Par exemple, lorsque des cyanobactéries colonisent les pvs, elles acidifient le milieu afin de pouvoir mieux extraire les nitrates et phosphates.

En provenance de l’extérieur :

      - l’eau utilisée pour les remises à niveau ou les changements, si on n’utilise pas d’osmoseur ou si celui-ci est défectueux
      - le sur-nourrissage des poissons qui entraîne la décomposition de la nourriture non assimilée, larguant des phosphates mais aussi du CO2 et des composés azotés
      - les sels synthétiques peuvent parfois être source de phosphates
      - le charbon actif peut aussi en libérer
      - la nourriture congelée distribuée sans l’avoir nettoyée au préalable car pour sa conservation, certains sels de phosphate inorganique y sont ajoutés
      - tout ce qui est susceptible d’en contenir comme l’hydroxyde de calcium utilisé pour faire de l’eau de chaux, les buffers pour le Kh, les divers additifs
      - et encore bien d’autres sources….

Très souvent, l’accumulation des phosphates est le fait de plusieurs de ces causes.

Les conseils ?

Les conseils à donner pour éviter cela seront de tester souvent le taux de phosphates de manière à ne pas les laisser atteindre des niveaux où lutter contre eux devient un vrai challenge. Tester l’eau, les sels, le charbon, et éventuellement tout ce qui peut être ajouté souvent dans l’aquarium…

Ne pas donner trop de nourriture par rapport à la quantité de poissons. Bien souvent, ils comprennent vite de quel coin arrive la nourriture, et à chaque fois qu’on passe devant le bac, ils se précipitent vers cet endroit. L’impression qu’ils donnent en faisant cela est qu’ils ont faim, et qu’ils réclament de quoi manger…et donc : hop, une petite pincée de granulés ou une portion d’artémias…

La nourriture sèche contient bien plus de phosphates que les cubes de congelé. Et pourtant c’est souvent avec ce type d’aliments qu’on a la main lourde.

L’idéal est de rincer ou de filtrer la nourriture congelée. Personnellement, je la décongèle dans une pince à thé. Mais c’est selon votre imagination : tamis fin, épuisette à maille fine, etc…

Observer les habitants du bac afin de vérifier le nombre de poissons. Parfois, il faut un ou deux jours avant de s’apercevoir qu’il en manque. Evidemment, s’il a décidé d’aller mourir derrière le décor, soit le poisson est petit et on espère que les bernard-l’hermite, ophiures ou autres crevettes s’en chargeront rapidement, soit il est de bonne taille et là…peut-être est-il bon de démonter le décor, avec courage, mais pour éviter toute catastrophe.

L’eau de chaux :

L’utilisation d’eau de chaux  peut permettre de précipiter les phosphates. En effet, le pH élevé de l’eau de chaux entraîne un passage des HPO42ˉ vers les PO43ˉ. Le calcium de l’eau de chaux va former une molécule de phosphate de calcium, Ca3(PO4)2, qui précipite.

Le problème, c’est qu’ils précipitent dans l’aquarium, et donc sur les pierres et le sable. Et il suffit d’une chute de pH pour larguer les phosphates. La capacité de l’aragonite à fixer les phosphates est maximum à un pH de 8.4 et diminue avec le pH. Par conséquent, la réaction est réversible lorsque le pH baisse. L’aragonite (ou le sable) stocke ainsi les phosphates qui restent une source de nourriture pour les algues et qui s’avèrent très difficiles à éliminer.

Une méthode simple consiste à injecter l’eau de chaux directement à l’entrée de l’écumeur. Les phosphates ainsi précipités peuvent être enlevés et ne restent pas dans le bac.

Lorsque de nombreuses solutions auront été testées pour se débarrasser des phosphates (et des algues) et que le problème persiste, il faudra peut-être envisager de retirer le sable…

Une autre possibilité est de garder le pH du bac aux alentours de 8.4 afin d’éviter le rejet des phosphates dans l’eau…..

Les oxydes de métaux :

Proposés dans le commerce comme produits anti-phosphates, les oxydes d’aluminium sont traités pour absorber les ortho-phosphates et sont vendus sous forme de granulés, de poudre ou autre…

Une utilisation régulière de ces produits permettra donc l’élimination du phosphate inorganique. Mais ils n’ont aucune influence sur les phosphates organiques. Si une prolifération d’algues dans le bac est due dans un premier temps à la présence de phosphates organiques, les oxydes d’aluminium ne seront pas efficaces.

La présence de macro-algues :

Les macro-algues comme les Caulerpes peuvent être « cultivées » dans le refuge par exemple. Elles se nourrissent des phosphates. Ceux-ci ne sont dès lors plus présents pour les algues filamenteuses (ou micro-algues).

L’avantage de ces algues est qu’elles ne réduisent pas seulement les phosphates, mais aussi les composés azotés. Certains aquariophiles font pousser les palétuviers avec des résultats plus ou moins concluants. C’est également la méthode la moins chère au final…

Cependant, l’efficacité des macro-algues dépend beaucoup de la quantité de phosphates apportée quotidiennement dans le bac. Elles ne peuvent pas tout consommer, d’autant qu’elles vont rapidement entrer en concurrence avec des organismes plus performants comme les cyanophycées.

L’écumeur :

Il représente un moyen très efficace de retirer un maximum de phosphates organiques. En effet, les molécules organiques ont souvent une forme complexe qui s’organise avec un pôle hydrophobe (« qui n’aime pas l’eau ») et un pôle hydrophile (« qui aime l’eau »). Du coup, les molécules organiques vont être comme emprisonnées, avec le pôle hydrophobe à l’intérieur et le pôle hydrophile à l’extérieur de la bulle d’air.

L’écume produite est ainsi composée des molécules organiques concentrées qui n’auront pas le temps de se décomposer en Pi.

Quelles conclusions tirer de tout ceci ?

Sans aucun doute que les phosphates restent très difficiles à éliminer totalement. D’autant plus qu’ils sont stockés au sein du sable et des pierres vivantes mais aussi sous la forme complexe de molécules organiques, rarement détectées par les tests classiques et susceptibles d’être transformées en Pi, nourriture des algues filamenteuses et indésirables en aquarium.

La lutte contre les phosphates est indispensable durant toute l’existence du bac. N’oublions pas que c’est un système clos pour lequel il faut faire autant d’apports (iode, strontium, magnésium, etc.) que d’éliminations de déchets.

Il vous reste donc à tenter de maintenir un taux de phosphates très bas en utilisant les diverses méthodes d’élimination ou de prévention et de vous armer de patience…


Références :
- “ Sources of Phosphates”, Martina Rodacks, Wiesbaden, Allemagne
- “ Chemistry and the aquarium-Phosphorus : Algae’s best friend.”, Advanced Aquarist’s, Randy Holmes-Farley, sept 2002
- “ Kalkwasser and Phosphate-notes from the lab”, http://thatwebplace.hypermart.net/aquatic/seascope/notes.html
- “Pourquoi est-il nécessaire de répéter les traitements qui réduisent les phosphates?”, Martina Rodacks, Wiesbaden, Allemagne. Traduit par L . André.
- « Atlas de l’aquarium marin », Mergus.
- « Phosphates in the aquarium.», http://www.algone.com/phosphates.htm
- http://www.aquacraft.net/sf9908.html
- http://saltaquarium.about.com/library/weekly/aa060398.htm